Lettres de soldats à leurs familles

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Extrait de « Paroles de Poilus » 1998 . Lettres et carnets du front 1914-1918

Argonne le 16 août 1916,

Chers parents et chères sœurs,
Le 2, à saint-Laurent, nous avons entendu le signal de l'alerte. On est venu nous chercher avec des véhicules, et on nous a emmenés jusqu'à quelques kilomètres du front de Verdun. Vous ne pouvez pas avoir idée de ce qu'on a vu là-bas. Nous nous trouvions à la sortie de Fleury, devant le fort de Souville. Nous avons passé trois jours couchés dans les trous d'obus à voir la mort de près, à ,attendre à chaque instant. Et cela, sans la moindre goutte d'eau à boire et dans une horrible puanteur de cadavres. Un obus recouvre les cadavres de terre, un autre les exhume à nouveau. Quand on veut creuser un abri, on tombe tout de suite sur des morts. Je faisais partie d'un groupe de camarades, et pourtant chacun ne priait que pour soi. Le pire, c'est la relève, les allées et venues. A travers les feux de barrage continus. Puis nous avons traversé le fort de Douaumont, je n'avais encore jamais rien vu de semblable. Là, il n'y avait que des blessés graves, et ça respirait la mort de tous côtés. En plus, nous étions continuellement sous le feu. Nous avions à peu près quarante hommes morts ou blessés. On nous a dit que c'était somme toute assez peu pour une compagnie. Tout le monde était pâle et avait le visage défait. Je ne vais pas vous en raconter davantage sur notre misère, je pense que ça suffit... Mais le Seigneur m'est venu en aide. Là-dessus, nous sommes repartis aussitôt pour Spincourt où on nous a chargé sur des véhicules à destination de Grandpont, puis nous sommes revenus en deux jours à nos positions devant Chapelle, où nous sommes maintenant un peu mieux installés. Je vais aussi écrire à Guste. Je vous embrasse de tout cœur et vous recommande à Dieu. Votre fils et frère reconnaissant.

Le 13 novembre 1918,

Les dernières quarante-huit heures.
Chers parents,
Cette fois je vous écris en plus grand. Nous avons été relevés hier après midi du contact avec les Boches. Les dernières quarante-huit heures ont été terribles.
Le 9 à 10 heures du matin on faisait une attaque terrible dans la plaine de la Woëvre. Nous y laissions les trois quarts de la compagnie, il nous est impossible de nous replier sur nos lignes ; nous restons dans l'eau trente-six heures sans pouvoir lever la tête ; dans la nuit du 10, nous reculons à 1 km de Dieppe ; nous passons la dernière nuit de guerre le matin au petit jour puisque le reste de nous autres est évacué ; on ne peut plus se tenir sur les jambes ; j'ai le pied gauche noir comme du charbon et tout le corps tout violet ; il est grand temps qu'il vienne une décision, ou tout le monde reste dans les marais, les brancardiers ne pouvant plus marcher car le Boche tire toujours ; la plaine est plate comme un billard.
A 9 heures du matin le 11, on vient nous avertir que tout est signé et que cela finit à 11 heures, deux heures qui parurent durer des jours entiers.
Enfin, 11 heures arrivent ; d'un seul coup, tout s'arrête, c'est incroyable.
Nous attendons 2 heures ; tout est bien fini ; alors la triste corvée commence, d'aller chercher les camarades qui y sont restés. Le soir arrive, il nous faut rester là, mais on allume un grand feu et les rescapés se rassemblent ; tout le monde est content mais triste : la mort plane encore dans l'air. Le 12, nous sommes relevés à 2 heures et c'est fini. Eugène.


 

1ère lettre (PDF), 2nd lettre (PDF), 3ème lettre (PDF), 4ème lettre (PDF)